"Des étincelles de sens et de beauté"

Si Florence Barbéris pratique une gravure ancrée dans la tradition et la technique c’est pour mieux s’en libérer. Le mode de reproduction est abandonné pour un mode d’expression très personnel, décliné en variantes subtiles d’épreuves uniques obtenues, pas à pas, par le jeu d’essuyages, de collages, de superpositions, juxtapositions, qui donnent naissance à des séries  indissociables. Une édition de livres d’artiste vient souvent compléter ces séries.

Pour ce faire l’artiste a besoin de temps. Son regard s’arrête sur le travail en cours, les tables couvertes de papiers, d’essais, quelques tirages au mur, à l’écoute de ce qui va faire soudain sens. La radio diffuse une émission pas toujours bien écoutée, le chien soupire de temps en temps, une journée qui s’effondre dans une belle lumière, suffisent à son esprit tranquille. La beauté d’une tarlatane saturée d’encre, le reflet dans une plaque de zinc, cuivre, aluminium ou laiton, plaques parfois déjà usagées, abimées par d’autres mains, d’autres outils, dans d’autres ateliers, plaques rouillées ou plaques d’acier destinées à un usage industriel, transmettent des messages, invitent à des gestes nouveaux auxquels s’essayer. Puis c’est la presse taille-douce qui entraine le papier de part et d’autre du rouleau et va révéler la proposition, ce qui a été osé l’instant d’avant. La magie opère. Révélation, apparition. Moment où le sacré surgit, fortement uni à l’intime.

C’est dans ce contexte que les tirages vont s’enchaîner sans effort au gré des inspirations. Le jugement sera suspendu. Seul comptera la satisfaction d’une journée bien remplie. Les jours passeront, les semaines parfois les années pour savoir si le travail est bon à garder, à pousser davantage, à ranger ; rarement à jeter. Florence attend que les choses s’organisent d’elles-mêmes. Cela peut prendre une éternité. L’oubli peut s’installer. Puis, à la faveur d’une mémoire en réserve ou d’une envie de faire prendre l’air à ses épreuves, des associations, des rapprochements se font, qui relancent le processus.

Créer des liens, des passerelles entre les territoires, entre les personnes, entre les histoires, que les œuvres se répondent, se superposent, se recoupent est un des autres aspects de la « méthode Barbéris » qui sait aborder le côté yin de la gravure.  Dans les séries Horizons le processus s’élabore de façon visible entre les œuvres ainsi qu’à l’intérieur de chacune d’elles. Zones de partage, frontières, tout à la fois opposent et font dialoguer les contenus mais au bout du compte tout s’écoule sur une même ligne d’énergie. Le multiple, horizontal ou vertical, s’évanouit pour ne laisser au final paraître qu’une ligne d’horizon. Partage des eaux fluides ou boueuses, rives en dérive, le Mékong, ce long serpent aux reflets de métal coule sans défaillir dans le sens du temps à deux pas, dans l’esprit de Florence, du Vidourle qui jouxte son atelier. Que ce soit aux portes de la Camargue ou dans ses nombreuses résidences d’artiste à l’étranger, en Corée, au Laos, en Birmanie, en Irlande, Florence est à l’écoute des différences, non pour diviser mais pour assembler.

La recherche de l’artiste s’oriente vers une approche de plus en plus décalée de la gravure traditionnelle. Les techniques restent inchangées ; elle grave essentiellement le métal à la pointe sèche ou à l’eau-forte ou le charge de carborundum ; parfois dans le désir d’une économie de moyens libératoire les procédés du monotype ou de l’estampage sur les papiers du Laos ou de Corée prennent le relais ; d’autres fois encore, les matrices se suffisent à elles-mêmes, présentées brutes, gravées et encrées, leur impression sur papier ne s’imposant plus. Mais c’est surtout le processus de travail qui intéresse l’artiste, les marques des outils, de la main, des essuyages, les dos des plaques qui quelquefois racontent une histoire, les accidents de parcours, voire les erreurs et le hasard, qui tient une place importante dans sa création. Elle aime à ce propos citer Denis Lejeune qui, dans son ouvrage Qu’est-ce que le hasard ? « , parle de créer sans trop y réfléchir :  » … la spontanéité n’est pas aléatoire, elle a une logique propre, le hasard sert comme instrument pour l’engendrement de l’œuvre, il aide à structurer mais il n’est pas la fin, le but … Il crée des étincelles de sens et de beauté au milieu du chaos. Il est ce que la raison ne comprend pas. »

  texte Annick Dénoyel, auteure graveure, annick-denoyel.com

*Denis Lejeune « Qu’est-ce que le hasard ? » éditions Max Milo 2007